Les génies de l'eau
L’eau est essentielle à la survie des hommes ainsi qu’à celle des plantes et des animaux. Elle est donc considérée universellement comme la principale source de vie. Mais bien souvent, soit par les sécheresses, les inondations ou autres désastres qu’elle cause, l’eau peut aussi être dévastatrice et semer la mort et la destruction. Elle est donc très souvent associée à l’idée de force et de pouvoir. Comme les différents phénomènes reliés à l’eau sont imprévisibles et ont longtemps paru incompréhensibles à l’homme, celui-ci a cherché à leur trouver une explication dans le monde surnaturel.
En Afrique, comme un peu partout sur la planète, l’eau est donc souvent perçue comme une matière vivante et habitée par des génies, des dieux ou d’autres types d’êtres surnaturels. On attribue souvent à ces personnages mythiques les différents phénomènes naturels reliés à l’eau. Ainsi, dans la région des Grands Lacs, en Afrique, on vénère Wamara, le dieu de la pluie; au Mozambique, c’est le dieu Tilo qui règne sur le ciel et déclenche les orages, tandis que pour les Yoruba, les phénomènes atmosphériques sont les résultats des caprices du dieu Sango. De plus, dans plusieurs endroits, on croit que les cours d’eau sont aussi contrôlés par des êtres surnaturels. Ainsi, chez les Égyptiens, plusieurs dieux et déesses sont associés au Nil, chacun d’entre eux ayant un rôle différent. Le dieu Hâpi, par exemple, a la responsabilité de régir la montée des eaux et sa durée. On lui attribue l’inondation qui, chaque année, vient déposer sur les berges un limon qui fertilise les sols et assure de bonnes récoltes. Les gens viennent fréquemment lui faire des offrandes en espérant s’attirer ses bonnes faveurs.
Au fil du temps, plusieurs mythes, contes et légendes sont donc nés autour de l’eau et des entités qui l’habitent. Certaines sont au coeur même de la culture des peuples. Chez les Dogons, par exemple, l’eau est considérée comme un monde à part et on croit que c’est dans l’eau que vivent les êtres les plus extraordinaires et les plus puissants. Les personnages centraux de la mythologie dogon sont donc des esprits aquatiques appelés Nommo. Les Nommo habitent habituellement les mares, les puits, les marigots et tous les cours d’eau. Mais en saison sèche, ils se réfugient dans les creux des baobabs, qui retiennent l’eau, où ils se transforment parfois en python.
Ce sont les Nommo qui régulent les pluies et qui apportent l’eau à l’homme. D’après les croyances populaires, chaque puits, chaque point d’eau serait habité par un Nommo. Si le Nommo est heureux, le point d’eau ne tarit pas, mais si le Nommo est malheureux et quitte le point d’eau, ce dernier s’assèchera rapidement. Les Dogons leur font donc des offrandes et des prières pour s’assurer que les Nommo sont heureux, restent dans les points d’eau et ne les laissent pas tarir. De plus, les Nommo voyagent et se visitent, comme des êtres humains. Ils se déplacent d’un point à l’autre en glissant sur les arcs-en-ciel. Lorsqu’un Nommo est parti pendant trop longtemps d’un endroit et qu’il y a des problèmes de sécheresse, les Dogons ont des rites particuliers pour le faire revenir et lui demander de faire tomber la pluie. Comme le peuple Dogon vit dans une région très aride, les Nommo et les cultes qui leur sont associés sont très présents dans la culture traditionnelle de ce peuple. D’autres peuples de la région vénèrent aussi des esprits semblables, comme le Lommo chez les Nongom, et le Domfé, chez les Tellem.
Chez les Soninké, il existe aussi un esprit de l’eau qui est au cœur d’une légende expliquant pourquoi l’empire Wagadou (Ghana), autrefois prospère, est maintenant en proie à la pauvreté et à la sécheresse. Cet esprit, appelé Bida, est un serpent à sept têtes qui vivait au fond d’un puits dont il était le gardien. C’est lui qui assurait la prospérité au pays en faisant pleuvoir de l’eau et de l’or sur la région. Pour garder Bida heureux et s’assurer qu’il accorde au peuple de bonnes saisons des pluies et des récoltes prospères, une fois tous les sept ans, le peuple Soninké lui donnait en offrande la plus belle de toutes les jeunes filles de la région. Si le serpent acceptait la jeune fille qui lui était offerte, le peuple connaissait sept années d’abondance. Mais s’il ne la trouvait pas à son goût et qu’il la refusait, il pouvait faire sombrer le pays tout entier dans la sécheresse et la pauvreté.
D’après la légende, on dit qu’une année, la jeune fille qui avait été choisie pour être sacrifiée à Bida était déjà promise à un garçon qui était éperdument amoureux d’elle. Lorsqu’il apprit la nouvelle, le garçon était furieux et jura que Bida n’emporterait pas sa belle. Quand vint la nuit du sacrifice, on emmena la jeune fille, vêtue de ses plus beaux vêtements et parée de magnifiques bijoux, devant le puits sur le dos d’un chameau blanc. Après la fête et les cérémonies entourant le sacrifice, on laissa la jeune fille seule pour que le serpent vienne la chercher. Or le jeune fiancé s’était caché tout près de là, et lorsque le serpent sortit sa tête du puits pour voir la jeune fille, le jeune homme la lui trancha d’un coup sec. Puis, lorsque Bida sortit sa deuxième tête, le jeune homme la trancha aussi rapidement, et ainsi de suite jusqu’à ce que les sept têtes du serpent gisent au pied du puits et que le serpent soit mort.
Après cet événement, le jeune homme dut quitter le pays en compagnie de sa fiancée, car il avait entraîné sur son peuple la malédiction du serpent. Et depuis ce temps, la sécheresse et la pauvreté ont envahi le pays, et le peuple Soninké a du se disperser dans toute l’Afrique pour retrouver la prospérité qu’il avait connue autrefois.
Tous ces personnages surnaturels et ces légendes liées à l’eau laissent bien voir l’importance capitale qu’a l’eau pour tous les peuples, surtout pour ceux habitant des régions où le climat est aride.